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10 juillet 2005

escadrille

“Give me all the blue prints...”

 Une flaque d’huile. Ça pue l’essence, le lourd gasoil qui s’évapore. La poussière recouvre la tôle qui brûle au soleil. Une femme nue en plastique se balance au dessus du siège. Des machines, des moteurs, des hélices, des écrous, des avions. Il fait chaud. Trop chaud. Une voix criarde balance des ordres comme on jette des sacs de riz. Le bruit des moteurs efface la moitié des mots. La phrase se finit par des gestes, puis il ne reste plus qu’un seul geste qui se répète. Un geste qui ressemble à un bras d’honneur. Chacun court à son appareil. Le cuir brûlant colle aux fesses. Les vitres des cockpits se ferment, les ceintures se bouclent. Le pilote baisse la visière de son casque pour enfermer ses pensées. Emprisonné dans sa machine il regarde les aiguilles danser. L’avion tremble comme une petite vieille qui s’apprête à se lever. Le pilote regarde droit devant lui, là ou il n’y a rien à voir. Il se frotte la nuque qui lui fait mal et tire le manche, en souplesse. La lourde machine avance lentement et prend position sur la piste. Un avion, puis deux, puis trois, quatre, dix... Un dernier mot, et c’est l’envol. Les aiguilles paniquées vibrent dans tous les sens. Ça gronde. Ça grogne. Ça crache. Les ailes glissent sur la piste. Les hélices fendent l’air comme deux épées folles qui ne trouvent pas d’ennemis. Enfin l’avion s’arrache du sol dans un crissement aigu. Il griffe le sol et laisse sur la piste deux saignées, deux traits noirs brusquement interrompus sans raison.

L’avion monte, monte. Il monte encore, encore plus, monte, encore, encore...Il n’arrête pas de monter. Puis un autre, et un autre,  encore un autre. Une ligne, une belle ligne faite de points bleus s’allonge dans le ciel. La ligne se penche en avant, en arrière. Elle file dans le ciel endormi. Elle va vite, trop vite. Elle apparait, disparait, réapparait. Elle vole, elle survole. Elle s’enfonce dans un nuage qui ronfle comme une grosse bête.
La ligne dessine un triangle. On dirait un dessin pour enfant. Il faut relier les points pour dessiner un animal, un oiseau, un grand oiseau au bec pointu. Un pilote essaie de rire, un autre vomit à l’arrière. Ça vibre tellement qu’on entend rien. On crie, on gueule, on s’engueule. La radio s’y mêle. On prend des notes. Des calculs incompréhensibles se déversent sur du papier froissé. On fume. Assis à deux milles mètres d’altitude. Les avions fument aussi, tranquilement, ils aspirent les nuages et recrachent de la fumée noire. Silence.

Des montagnes. Une vallée. Un village. Des maisons. Il pleut, il pleut des cordes. Une sirène peureuse s’élève timidement dans la nuit. Les gens se tiennent par la main, ils courent, se séparent, se perdent. Ils tombent et leurs genoux frappent le sol. Ils se relèvent. Il pleut des mots, des larmes, des cris. Mon amour, mon amour... Les oiseaux en acier surgissent du ciel dans un rugissement malade. Un enfant assis par terre les regarde émerveillé. Ils brillent comme des étoiles, des petits soleils rapides comme l’éclair. Hypnotisé par la beauté de ces insectes inconnus, l’enfant n’entend pas sa mère crier.  Les avions s’alignent dans le ciel, se penchent sur le côté et descendent en flèche, comme des aigles qui chassent leur proie. Pris de panique les nuages fuient le ciel. Le village tourne, tourne,  et se rapproche à une vitesse vertigineuse. Enfin les oiseaux se redressent et lancent un cri. Des oeufs noirs sifflent en tombant du ciel. On entend un rire malade d’un fou, un fou desepéré. Un nouveau nuage s’élève dans le ciel. Un nuage rouge, tout rouge. Les arbres s’embrasent comme des allumettes. Les maisons éclatent, les maisons brûlent, l’eau brûle, les gens brûlent. Le sang se jettent sur les corps. Les membres se détachent et les timpants se percent. La toîle se couvre de peinture colorée. Le feu d’artifice recouvre toute la vallée, mais il n’a y a plus de public. Seule, la mort, morte de rire,  profite du spectacle. Entourée de cadavres mutilés, elle regarde les corps et les bouts de chair qui font l’amour une dernière fois.

Mission terminée. Les oiseaux rejoignent leur nid. Bravo ! Tout le monde est rentré mon général ! Les pilotes sautent de leur appareil. On se félicite. On se tape sur l’épaule. Les mains se serrent. L’opération est un succès. L’objectif est atteint. Les ordres sont accomplis.. Chut ! quelqu’un parle au téléphone. Le chef est content. Le chef du chef est content. Le chef du chef du chef est content...On les a eu ces salauds! Vous serez recompensés ! On rit, on boit, on danse sur la piste. C’est la fête ! Caché derrière un avion un pilote pleure.

Mais tout à coup une sirène, peureuse, se fait entendre. Un bourdonnement vient du ciel. On lève la tête... oh oh...

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Commentaires
A
merci...
S
Tu m'as glacé le sang avec ce texte.<br /> On dirait que tu l'as vécue tellement c'est déchirant.<br /> Et le pire tu sais quoi?<br /> C'est que ce ne sont pas les images que tes mots provoquent en moi qui m'ont plongé dans cette réalité, mais ces métaphores.<br /> Surtout, celle volontaire ou non, des nuages. Ils m'obsèdent et me harcèlent depuis que j'ai lu ton texte il y a quelques jours.<br /> Si les nuages fuient devant l'Homme, ça devient trop hard core pour l'horizon.<br /> <br /> Très beau texte, cynique, poétique, douloureux, historique, intemporel et c'est ça qui est malheureux.<br /> <br /> <br /> Peace. SPirit, ce contesté parmi les cons testés.
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