“Give me
all the blue prints...”
Une flaque
d’huile. Ça pue l’essence, le lourd gasoil qui s’évapore. La poussière recouvre
la tôle qui brûle au soleil. Une femme nue en plastique se balance au dessus du
siège. Des machines, des moteurs, des hélices, des écrous, des avions. Il fait
chaud. Trop chaud. Une voix criarde balance des ordres comme on jette des sacs
de riz. Le bruit des moteurs efface la moitié des mots. La phrase se finit par
des gestes, puis il ne reste plus qu’un seul geste qui se répète. Un geste qui
ressemble à un bras d’honneur. Chacun court à son appareil. Le cuir brûlant
colle aux fesses. Les vitres des cockpits se ferment, les ceintures se
bouclent. Le pilote baisse la visière de son casque pour enfermer ses pensées.
Emprisonné dans sa machine il regarde les aiguilles danser. L’avion tremble
comme une petite vieille qui s’apprête à se lever. Le pilote regarde droit
devant lui, là ou il n’y a rien à voir. Il se frotte la nuque qui lui fait mal
et tire le manche, en souplesse. La lourde machine avance lentement et prend
position sur la piste. Un avion, puis deux, puis trois, quatre, dix... Un
dernier mot, et c’est l’envol. Les aiguilles paniquées vibrent dans tous les
sens. Ça gronde. Ça grogne. Ça crache. Les ailes glissent sur la piste. Les hélices
fendent l’air comme deux épées folles qui ne trouvent pas d’ennemis. Enfin l’avion
s’arrache du sol dans un crissement aigu. Il griffe le sol et laisse sur la
piste deux saignées, deux traits noirs brusquement interrompus sans raison.
L’avion monte,
monte. Il monte encore, encore plus, monte, encore, encore...Il n’arrête pas de
monter. Puis un autre, et un autre, encore
un autre. Une ligne, une belle ligne faite de points bleus s’allonge dans le
ciel. La ligne se penche en avant, en arrière. Elle file dans le ciel endormi.
Elle va vite, trop vite. Elle apparait, disparait, réapparait. Elle vole, elle
survole. Elle s’enfonce dans un nuage qui ronfle comme une grosse bête.
La ligne dessine
un triangle. On dirait un dessin pour enfant. Il faut relier les points pour
dessiner un animal, un oiseau, un grand oiseau au bec pointu. Un pilote essaie
de rire, un autre vomit à l’arrière. Ça
vibre tellement qu’on entend rien. On
crie, on gueule, on s’engueule. La radio s’y mêle. On prend des notes. Des
calculs incompréhensibles se déversent sur du papier froissé. On fume. Assis à
deux milles mètres d’altitude. Les avions fument aussi, tranquilement, ils
aspirent les nuages et recrachent de la fumée noire. Silence.
Des montagnes.
Une vallée. Un village. Des maisons. Il pleut, il pleut des cordes. Une sirène peureuse s’élève timidement dans la
nuit. Les gens se tiennent par la main, ils courent, se séparent, se perdent. Ils
tombent et leurs genoux frappent le sol. Ils se relèvent. Il pleut
des mots, des larmes, des cris. Mon amour, mon amour... Les oiseaux en
acier surgissent du ciel dans un rugissement malade. Un enfant assis par terre
les regarde émerveillé. Ils brillent comme des étoiles, des petits soleils
rapides comme l’éclair. Hypnotisé par la beauté de ces insectes inconnus,
l’enfant n’entend pas sa mère crier. Les
avions s’alignent dans le ciel, se penchent sur le côté et descendent en flèche,
comme des aigles qui chassent leur proie. Pris de panique les nuages fuient le
ciel. Le village tourne, tourne, et se
rapproche à une vitesse vertigineuse. Enfin les oiseaux se redressent et
lancent un cri. Des oeufs noirs sifflent en tombant du ciel. On entend un rire
malade d’un fou, un fou desepéré. Un nouveau nuage s’élève dans le ciel. Un
nuage rouge, tout rouge. Les arbres s’embrasent comme des allumettes. Les
maisons éclatent, les maisons brûlent, l’eau brûle, les gens brûlent. Le sang
se jettent sur les corps. Les membres se détachent et les timpants se percent. La
toîle se couvre de peinture colorée. Le feu d’artifice recouvre toute la
vallée, mais il n’a y a plus de public. Seule, la mort, morte de rire, profite du spectacle. Entourée de cadavres
mutilés, elle regarde les corps et les bouts de chair qui font l’amour une
dernière fois.
Mission terminée.
Les oiseaux rejoignent leur nid. Bravo ! Tout le monde est rentré mon
général ! Les pilotes sautent de leur appareil. On se félicite. On se tape
sur l’épaule. Les mains se serrent. L’opération est un succès. L’objectif est
atteint. Les ordres sont accomplis.. Chut ! quelqu’un parle au téléphone.
Le chef est content. Le chef du chef est content. Le chef du chef du chef est
content...On les a eu ces salauds! Vous serez recompensés ! On rit, on
boit, on danse sur la piste. C’est la fête ! Caché derrière un avion un
pilote pleure.
Mais tout à coup une
sirène, peureuse, se fait entendre. Un bourdonnement vient du ciel. On lève la
tête... oh oh...